dimanche 23 mars 2008

Un cri de haine lancé à la face du monde. Pas moins.

Sérieux ? Sérieux, je flippais. La nouveauté m'écoeure et m'ennuie, pour dire. Alors se lever pour de vrai, pour le travail quoi, palper de la thune en fin de mois, causer sérieusement d'engagements contractuels, enfin tu vois, c'est moi, end, le gars qui emballait sur #18-25 en bouffant des frosties. Qui se levait pour les rediffs d'Olive et Tom. Le type qui est passé de l'enfance à l'inertie en bâillant. Et je flippais, parce que je voyais bien que je m'acclimatais à la responsabilité et aux heures sup'. Je me disais, c'est un peu facile quand même, ton patron te prend pour un adulte, toi t'enfiles le costume et tu glisses du win-win en format excel sans chouiner ? Allons. De fait, après des années de complaisance et d'apitoiement onanique (niste ?), je participe à la collectivité. Normal. Et la peur, c'est de s'adapter si bien, qu'il se pourrait même qu'il n'y ait pas eu adaptation. Peut-être que je suis de ces gens qu'on pose n'importe où et qui recalculent immédiatement la fonction linéaire de leurs principes (c'est à dire qui n'en ont pas). Enfin, plutôt que se faire chier avec les principes, parlons d'ameublement idéologique. J'exagère mais il est 4h du mat'. Donc peut-être que je suis de ceux qui vivent sans se réaménager d'existence selon le bail du dehors. Tu me poses au Soudan, je prends les armes et je tire à vue. Tu me poses à Vichy, je dénonce. A Baicheng, j'attends la mousson.
Bref, je me disais, c'est inquiétant. Si l'extérieur te conditionne à tel point que tu n'existes que par et pour lui, tu vas sacrément t'emmerder à ta mort.
Mais - mais ! - jeudi, j'ai enfin eu la démonstration qu'une identité un peu chiante se planquait sous ce corps amer. Figure-toi que je revoyais de la famille. Et que j'y fus aussi détestable qu'à l'accoutumée, c'est à dire aux confins de l'autisme et du désintérêt. Alors que je bosse ! Et que je devrais - si l'on suit la logique énoncée pendant pas moins d'un paragraphe - pouvoir tenir une discussion adulte sur le pouvoir d'achat ou la météo qui s'entête à respecter les quotas de giboulées. Donc, et c'est la morale de l'histoire, bien que fluctuant social, je reste un gros con amorphe. J'ai eu peur. Un instant.

samedi 15 mars 2008

Quinze en abbesses

Quinze n’a jamais obtenu de réponse. De réponse sérieuse. Sa mère lui répète que « c’est venu comme ça », et « ça nous a plu ». Et puis, souligne-t-elle à regret, tu t’appelles aussi Germain, « au cas où ». Elle finit toujours par allumer une clope, hausser les sourcils comme pour marquer une suspension de séance. C’est qu’elle n’a pas de compte à régler, Quinze c’est très joli, original, voilà.

Quinze a des milliards de comptes à régler, aussi s’affale-t-il sur un banc anti-clodo, ceux qui se penchent vers le marginal et lui soufflent « Tu dors pas ici, toi ; tu dégages ». Des milliards de comptes à régler, et Sophie Bofmann sera la première, qui est à la bourre. Station Abbesses, 13 heures. Et il est 13 h 30. Bordel.

Bofmann, déjà. Ça vient de Baufmann ? Changé pendant la guerre ? Quinze est sensible aux valeurs patronymiques et Bofmann, ça peut pas exister. Boffmann, à la rigueur. C’est un complot, le mec au prénom improbable qui saute la fille au nom qui n’existe pas. Quinze et Bofmann, ça fait des emmerdes. Pourtant, Sophie est pas chiante, c’est pour ça qu’il s’est attardé sur elle. Elle frappait à sa porte, il a ouvert vaguement exaspéré, elle a dit comme en s’excusant : « Bonjour, c’est quoi la musique ? » C’était, bah c’est Death in Vegas, que j’ai mis un peu fort, désolé, mais y’a du bruit en bas. On fête un anniversaire, qu’elle a justifié. Ah bon, c’est vous. OK. Vous voulez venir ? qu’elle a proposé. Pas chiante, Sophie Bofmann. Une fille sans manière, décrit-il, sans savoir si c’est bien. Si c’est bien, ou pas. Tout ça. Elle est pas moche. Pas chiante. Quinze a fantasmé de longs mois sur une rousse croisée au Memphis. Le Memphis, encore un nom de merde. Mais la rousse était excitante, une sorte d’élégance enroulée, dans l’oscillation des bras qui brassaient ses ondulés vénitiens. Et des nibards, mon gars. Bofmann est pas chiante, mais elle n’est pas le fantasme coulé d’une boîte pourrie. Elle n’est pas le songe en bordure de périph’, quand les potes vous laissaient catatonique de l’échec. La rousse, ce n’était pas qu’une branlette, c’était un destin possible, du moins admissible, l’infinitésimale probabilité d’une apogée. Sophie Bofmann est en retard.
Le bonheur, on s’imagine en avoir le goût jusque dans sa simplicité. Pour Quinze, ce serait des crêpes en bar breton, les pieds dans le goémon et les rentrées tardives à la Kriek. Néanmoins, il devine. Que ces petites balises ne sont qu’un alibi. Une façon de dire, je me contente de si peu, qu’au moins je sois exaucé. La vérité, c’est qu’on ne s’en satisferait. Jamais. C’est pourquoi, nous ne serons pas exaucés. 14 heures.
Comment c’était ? Satori ? Sasori. Ouais, Sasori. Le personnage était attachant, Quinze l’avait soumis à l’approbation de Sophie Bofmann, il lui avait expliqué, Sasori ne supporte pas le retard, tu vas comprendre pourquoi. Mais Bofmann n’avait pas compris. Elle ne s’intéressait pas aux mangas. Quinze avait insisté, Sasori valait une soirée, il était important qu’elle contemple le marionnettiste ponctuel, ponctuel névrotique. Et tout s’expliquait sur les dernières mesures d’Hakubo, alors qu’il se laissait mourir. Sophie Bofmann, qui n’était jamais chiante, s’était montrée passivement obstinée ce soir-là, à ne pas comprendre.

Une bouffée de haine envahit Quinze, une violente pulsion de mort à l’endroit de cette fille au nom inexorable. Il n’y pas de choix. La rousse, c’était ce vers quoi je tends, les pas vasifiés dans les algues, ces gros seins à malaxer. Ailleurs, c’est le néant. Je m’appelle Quinze, putain. Je m’appelle Quinze parce que c’est original. La seule question étant : qui de ma mère ou de moi s’enorgueillit de cette solitude calendaire ? Qui paradait auprès des copines, des collègues, des tantes, portant ce morpion de chair qui ne se distinguait des grouillants brailleurs que par son nombre ? Répondre à cette question, c’était répondre à tout. C’était reconnaître à Sophie Bofmann son statut d’alternative crédible, à l’idéal vénitien ou au néant. C’était pardonner au néant. Je baise le néant. Je baise le néant, murmure Quinze en partant.

samedi 8 mars 2008

now I'm rrrreally unimpressed

Si Manny est un imbécile entouré d'une barbe, Arwen fut une jolie fille entourée du monde. Pas belle comme peuvent l'être les postulantes à l'inaccessibilité, jolie comme le sont les taches de rousseur encadrant un sourire qui ne dit rien, comme l'impliquent ces mèches ramassées de bretonne, exposées aux méridiens écumants et longitudes salines. On se voyait mal finir sa vie avec, mais elle fut l'étoile protectrice d'un tas de puceaux gerbant leur vodka en spasmes de dépit. Arwen n'éprouva rien de l'amour, aucune lave rognant la densité raisonnable, elle ne voyait donc pas le mal à se laisser enfourcher, tant que ça faisait plaisir. Elle concéda néanmoins à la société - ses copines aigries - une distance prudente avec l'urgence des paumés. Au confluent de la facilité et de la contrainte, elle étira ses jours en soupirs accablés, contemplative inerte de la misère affective qui engluait les aspirants à ses pieds. Elle était - c'est important, prends des notes - sincèrement triste de voir ces petites choses empêtrées dans leurs fantasmes vaseux alors qu'elle aurait pu combler leur incandescence en leur suçant la bite. Arwen comprit qu'il fallait faire avec, et prit soin d'être une fille normale, lectrice de presse people, collègue souriante, végétarienne non-prosélyte. Cette normalité devint logiquement suspecte, et son entourage décida qu'elle avait, comme toutes les jolies filles, des problèmes psychologiques (toutes les filles moches ont également des problèmes psychologiques, mais on s'en fout puisqu'elles sont, de fait, moches), dont on considéra à l'unanimité que c'était dommage, elle qui est si jolie.
Les gens étant décidément trop cons, Arwen reporta son affection sur son petit frère, un garçon plutôt médiocre dont il n'y a rien à dire. Elle comprit l'empressement cardiaque qu'ont les dépressifs d'exister à jamais pour - ne serait-ce qu' - une personne. Quelques années plus tard, elle rencontra un type qu'on appellera Pépito pour la déconne. Pépito était une forme première de la racaille d'aujourd'hui. Un garçon qui traînait avec des potes et qui concevait la vie comme une succession de halls d'immeubles qu'il faudrait comme immortaliser avec sa pisse. Le destin étant farceur, Pépito aima. Je veux dire, vraiment amoureux. Jusqu'à se recréer de l'envie, de la condition, de - ça me troue un peu le cul, mais c'est ainsi - l'identité. Il fut, et c'est vraiment dommage cette fois, l'homme qui aima le mieux Arwen. Il la prenait en photo. Constamment. Chaque putain de jour il vidait plusieurs pellicules, Arwen en oblique, Arwen un bras levé, Arwen deux bras levés, Arwen atteignant la cafetière en haut de l'étagère, Arwen la cafetière dans les bras, Arwen écartant un bras, Arwen saisissant un filtre entre ses doigts, Arwen déposant le filtre, et toutes ces photos rangées dans un carton étiqueté "Arwen prépare le café". Pépito accepta le petit frère comme une composante inhérente à sa vie rêvée. Il lui démontra qu'on pouvait s'élever de la pisse à l'espérance, de l'espérance à la rage, de la rage à la félicité. Il lui prouva qu'on pouvait renoncer à soi pour s'aimer. Il lui enseigna le bonheur tranquille des pas dans ceux de l'autre, et de la main accrochée à ses doigts. Il lui dit tout ce qu'il y avait à dire, de la façon d'appréhender l'infini comme une flaque obscure dessinée aux contours du concret, des vers de sable qu'il fallait traquer en creusant par-dessous, des recoins des trains où le contrôleur ne le verrait jamais. L'autre, évidemment, ne répondit rien. Pépito lui trouva un stage, puis mourut, dans sa bagnole.
Arwen fut triste comme elle ne s'en serait pas cru capable. C'était une fille sauvagement intelligente, un esprit qui n'aurait procédé qu'en instinct, mais dont l'instinct serait lui-même calqué sur des impulsions de raison. C'est dire si elle était maline, quoi. Mais tu sais ce qu'est la douleur ? Disons que c'est un voile sur le reste. Sur tout le reste. Il ne reste que la douleur et les moyens de la combler, car, d'une certaine façon, elle se nourrit de tout ce qui t'inclut et le recrache en tumeur qui te broie - crois-tu au départ - pour mieux expulser chaque organe qui aurait la prétention d'exister hors d'elle (la douleur, putain mais suivez un peu). Et Arwen fit une erreur monumentale. Elle crut - j'en ris encore, mais c'est pas pour me moquer - qu'elle pourrait ne pas crever de tristesse grâce à son petit frère. Exister à jamais pour une personne. Arwen.

mardi 4 mars 2008

à dire

J'ai dit que j'étais incompétent ? Bon, c'est dit. Parmi les quelques dizaines de conceptions qui organisent (ah mais comment je vais me tirer de cette phrase ?) mon parallélisme au monde (et là tu penses que j'ai grugé la sémantique comme une porcasse, alors que le parallélisme c'est un concept tout à fait concret, imagine deux trajectoires qui mettraient un entêtement certain et contrariant à ne jamais se croiser, et que ces trajectoires seraient moi d'une part, et le flux vibrant de l'existence de l'autre, hey, tu les vois ces petits bobsleighs qui vont se crasher à coup sûr mais dans des temps et des espaces qu'ils croiront n'appartenir qu'à eux, les cons), je suis convaincu que mon incompétence est une donnée acceptable (et partagée, mais je veux pas casser l'ambiance) pour la dimension humaine. Pratiquement : si je te foire la mise en page du rapport au client, tu pourras toujours te décharger sur moi, et même en rajouter dans mes incapacités, voire à faire admettre les tiennes comme une résultante des miennes, hmm ?
Acceptable, oui. Je me suis engagé à ne pas respecter ce que je fais, ni à m'investir. Pour ne pas prêter aux nécessités salariales un flanc compatissant et soumis, pour ne pas ressentir l'injustice, pour ne pas bouffer entre collègues et ne pas baiser la salope du 5ème. Pour ne pas être malheureux, hein.
Seulement voilà, maintenant que c'est du sérieux et qu'on parle pognon et engagement et contrat, maintenant qu'on en déduit et qu'on ressent, qu'on suggère pour tout dire que je pourrais incrémenter la production, et pour tout dire me magner, je ne joue plus. Je pourrais dire. Par exemple.

J'étais amoureux et c'est là que je me suis mis à confondre des notions aussi distinctes que la vie et l'existence, l'envie et la tripaille hurlante, le feu et les nuits à t'attendre. Les nuits à t'attendre alors qu'il n'y en eu qu'une. Et que tu finis par venir. Mais tous.ceux.qui.ont.été.amoureux. savent que les heures où on ne se sent plus exister pour l'autre sont des nausées impatientes, sont des renoncements et de la haine en mélasse, sont la lenteur exacte de l'inexistence qui ne sait pas si elle poindra au jour, sont la pointe portée aux remugles stomacaux, et pour longtemps. Et amoureux je l'étais. Qu'ai-je à justifier ?