mercredi 30 juillet 2008

Etude des peupliers

La clim' a sauté, autant dire que la nuit va être longue. Je voudrais qu'il gèle puisqu'on peut y remédier, contraindre l'épiderme et réfuter les atomes, mais que fait-on contre la moiteur ? Que dalle.
On m'apprend pas mal de trucs dans la famille, je me sens très proche du déversoir et d'en adopter la résignation concave, mais enfin, ce n'est pas comme si tout était tellement surprenant. Oui. De façon très malheureuse, je ne consens pas à m'y intéresser, lorsqu'ils me lâchent quelque énormité en désinvolture, et attendent une réaction, une surprise et de l'indignation. Je n'ai pas une vie si pleine, qu'elle ne puisse se résumer en quelques lignes, et parfois je la rejoue en murmurant ce qui a foiré et je distingue vaguement ce qu'il y a de génétique et ce qu'il y a de mes manquements singuliers à l'empathie et je me dis toi tu as bien fait de m'oublier et toi tu as bien choisi de m'enterrer, figures heureuses que vous autres qui me permettez par les soirs de chaleur de m'apitoyer un peu. Il suffit maintenant de quelques minutes pour rejouer les moments-clés de mon passage, d'en évaluer les variations et d'en mesurer l'insignifiance. Car plus que l'ombre dans la tienne, j'ai cherché à me passer de toi. Car plus que tes volutes, tes secrets, ton silence, ton absence massacrante, j'ai cherché ta bêtise et tes postures, et l'infini écoeurement qui gravite en ton odeur, en tes mots qui ne sont rien qu'une petite recherche de soi, et j'en suis compassé, et j'en ricane bêtement de ce que tu n'es plus grand chose.

samedi 26 juillet 2008

Avant

Je vous explique ce que je fais : s'il suffisait de cliquer sur un bouton pour nourrir un animal abandonné pendant un an, vous le feriez ? Simplement cliquer. Pas de carte bleue. Pas d'e-mail à fournir. Vous cliquez, et je m'engage à nourrir la petite bête larmoyante. Alors ?
Vous êtes 2,3% (moyenne annuelle) à le faire. Mon entreprise aurait été rentable à 1,7%.
Mais s'il suffisait de cliquer sur un bouton pour que je me fasse sucer 8 mois par an à Bora-Bora, vous le feriez ? C'est tout le problème.

Je m'appelle Eric. J'ai laissé crever des petites bêtes larmoyantes pour me faire sucer à Bora-Bora. C'était le projet. 870 000 euros bloqués sur des comptes un peu trop visibles. C'est comme ça, je ne me suis pas vraiment caché. Je me suis acharné pendant des mois à trouver un business-model cohérent, j'ai louvoyé entre les banques et les aides publiques, j'ai rassuré les investisseurs à coup de viennoiseries et de powerpoints destructurés, mais au moment de couillonner tout le monde, j'ai simplement pris l'argent. Mon associé s'appelle Alex, il ne comprend pas. Il ne comprend pas le mal ni la désinvolture. Je lui ai dit : je m'ennuie Alex, je veux filer à Bora-Bora. Alex dit : je comprends pas. Il m'observe. Alex m'observe pendant plus de deux minutes. Il cherche une solution, deux minutes pour une éternité de reflexion, avant de lâcher : tu as juste été négligent, l'argent est toujours là. Tu as été négligent, Eric.
Je m'ennuie Alex, je m'en vais. Je pars avec l'argent.
Tu peux pas. Il dit tu peux pas, avec le certitude de contenir la réalité en trois mots.
Au moment où je passe près de lui, Alex m'agrippe le bras. C'est tout le problème.

samedi 12 juillet 2008

1964

Bon, je croyais que c’était moi qui vous intéressais. Que vous faisiez des manières, planifiant de savantes approches et tout le bazar ; alors j’ai pas trop réfléchi. A votre histoire.

La fille renifle, avec un air pas mal agacé.

Non, c’est sur votre père.

Oui. Ça vous intéresse vraiment ?

C’est mon travail quoi.

Bon, il est né vers 1964.

Reniflement.

Non mais je sais.

Vous savez quoi au juste ?

Regard compassé.

L’essentiel quoi. Naissance, dates marquantes, tout ça.

Et vous voulez… ?

Votre regard sur lui.

C’est bien moi qui vous intéresse.

Vous pouvez juste me parler de lui ?

Je peux. C’est un esprit supérieur qui se considère comme un esprit supérieur. Très chiant. Le genre de type qui passe sa vie à faire des blagues sur les juifs pour choquer les esprits chagrins.

Il n’est pas antisémite ?

Non. Vous pensiez ?

Non. Mais ça confirme, c’est bien.

Ce n’est pas forcément bien. Les pères antisémites sont généralement de bons pères, un peu stricts, mais soucieux de passer le flambeau. Ça crée des liens, par nécessité.

Ce n’était pas un bon père ?

Non, mais il vous faudrait une approche un peu moins cliché.

Je déciderai de l’approche.

Bien sûr, vous observerez les faits en toute impartialité et le chemin de la vérité s’illuminera pour vos lecteurs.

Vous ne me faites pas confiance ?

Vous avez décidé de le réhabiliter.

Si c’est nécessaire, oui.

Non, particulièrement si ce n’est pas nécessaire. Je pourrais vous le décrire comme la plus grosse chiure jamais engendrée, ça ne ferait que vous conforter.

Me conforter ?

Vous allez en faire un homme extraordinaire. Extra. Ordinaire. En dehors de. Nos misérables quotidiens.

C’est votre avis. En quoi ce n’était pas un bon père ?

Je n’ai pas dit qu’il vous fascinait. Je n’ai pas sous-entendu que vous étiez idiote. Mais on ne vend pas la vie d’un homme pareil aux autres. Il vous faudra de la matière.

Mauvais père, donc ?

Mauvais père, absolument. Détestable.

En quoi ?

En son amour immodéré pour My funny Valentine, d’abord. Imposer ces longues minutes d’ennui à ses gosses, c’est déjà lamentable. Ma sœur avait laissé la chanson tourner en boucle quand elle s’est ouvert les veines. Ah tiens, de la matière.

Je sais, pour votre sœur.

Mais vous ne saviez pas pour Valentine. Moi non plus. Je l’ai appris récemment. Vous feriez mieux de ne pas le mentionner, en fait. L’esprit supérieur pourrait culpabiliser.

Ce n’est pas mon problème.

Si, ça l’est. Culpabiliser, ça ne dure qu’un temps. Ensuite, il passera à l’offensive, contre vous. Intimidation, menaces, procès. Je sais bien que vous n’êtes pas réfractaire au scandale, du moins que d’autres vous encourageront dans cette voie. Mais il vous réduira en cendres. Ma sœur viendra sur les plateaux, et vous jurera dans les yeux que cette histoire est fausse. Succès garanti, mais crédibilité entamée. Vous finirez à pavoiser sur les hypothétiques cancers de vieilles gloires médiatiques, et vous détesterez votre vie.

Il a tant d’influence sur votre sœur ?

Non, mais comme toutes les petites filles qui ratent leur suicide, elle s’imagine que c’est un instant qui n’appartient qu’à elle. Vous avez déjà essayé de reprendre un os à un chien ?

Et sur vous ?

Karl soupire.

Enormément. Il adore les voyages, il aime traverser les étendues africaines et les bocages indonésiens, se pâmer en florentin et moquer les juifs en Espagne. Il s’imagine le soufre ardent de sa présence à travers le monde. Il s’imagine la découverte et les horizons, les déjeuners galactiques où il souffle aux dieux « mi casa es tu casa ». Et moi j’angoisse pour descendre bouffer au chinois. Vous pourrez en faire quelque chose.

dimanche 6 juillet 2008

Ground Control

Depuis deux ans, Quinze dépose le même commentaire sous chaque post d'Akhilene23, une fille d'une curiosité toute relative qui ne s'est jamais étonnée de cette constance. Pas moins de 165 articles, ponctués du "Ah bon" de Quinze. 165 Ah bon. Et aucune réaction. Est-ce qu'elle réagirait si je l'avais traitée 165 fois de pute ? 165 fois menacée de mort ? Akhilene23 est une collègue de Quinze, une petite main de la direction marketing qui ne pense pas toujours à verrouiller son PC. Anne Versoony, un goût pour la j-pop et les videos de chatons, une existence tranquille, parents divorcés et fiançailles en vue, apparentée Modem (traditionnellement de droite). Quinze pourrait lui dire "c'est moi qui commente, à chaque fois" ou prononcer Ah bon, sur un ton qui ne laisserait aucun doute. Elle ne marquerait probablement pas de surprise, préférant ignorer ce qui pourrait bien être un - quoi, au fait - un con ? Un amoureux excessivement réservé ? Quinze serait de toute façon incapable d'expliquer. Pas que sa démarche lui paraisse tellement cohérente qu'elle se passerait aussi bien de cause et d'effet, mais Quinze porte en lui la gratuité des actes, qui lui paraît la seule raison valable d'exister. Il est probable qu'elle interprète ça comme un signal, une balise manifestant sa présence ; elle en conclurait qu'il se sent seul. Qu'il trouve dans ces pages banales un élément de confort, de sérénité. L'imaginant comme un gamin apeuré, elle n'aurait effectivement aucune raison de s'agacer ni de s'émouvoir de sa litanie pesante. Et l'émergence du commentateur dans sa réalité ne pourrait mener qu'à de l'indifférence, ou un vague sentiment de malaise. Anne Versoony ne réagit pas à l'intérêt marqué pour elle. Se sent-elle à ce point comblée par l'extérieur ? A ce point comblée que rien ne devrait perturber son chemin. 165 commentaires, toujours le même. Les autres commentateurs s'agacent ou s'amusent de cet entêtement dans le dubitatif. Et Anne Versoony (belge ?) est à ce point tranquille, qu'elle ne s'émeut en rien de cet acharnement. C'est profondément anormal. As-tu visité Bagdad sous les bombes, Anne ? Tes parents te frappaient-ils à tour de rôle, engoncés dans leur couple bancal ? As-tu tant vécu qu'un pervers en puissance, un type qui a fait de toi une cible manifeste ne t'évoque rien ? Et si j'apparais devant toi, dans un espace qui n'existera que par la reconnaissance mutuelle, verras-tu le danger potentiel ou t'en tiendras-tu à ce mutisme étriqué ? Il est temps de mettre un peu d'ordre, souffle Quinze. Un peu d'ordre dans sa vie.