vendredi 13 mars 2009

éclosent et fanent

Mina s'assoit au bord du lac sur lequel repose l'horizontale de Karl.

Tu sais faire la planche, maintenant ? Tu coulais toujours.
Je sais faire, oui. Avant j'étais pur, je croyais à la magie du corps flottant. Mais je sais faire, en m'agitant d'infimes convulsions. C'est la technique, non ? Enfin c'est la mienne.

Je fais le vieux. Leur corps se déglingue, et la flottaison leur donne, c'est paradoxal, un sentiment de contrôle.
Ça n'a rien de paradoxal.
Non ? Ils contextualisent leur déclin. L'homme ne comprend rien aux liquides, alors ils ressentent moins leur moisissure. Elle n'est plus flagrante, puisque nous sommes tous incompétents. Ça n'a rien à voir avec le contrôle.
Depuis quand les vieux t'intéressent ?
C'est un marché porteur. L'autre jour, un type se lamentait, "on oublie les vieux, on les jette et on les oublie". C'est vrai. Et je me suis dit, il y a un sacré marché à prendre.
Tu es un sacré malin, Karl.

Karl ?
...
Des millions de malins y ont déjà pensé. Des entrepreneurs, des politiques, des associations. Tu l'ignores vraiment, ou tu racontes n'importe quoi ?
C'était juste une idée. Mais tu l'as dit, je ne me suis jamais intéressé aux vieux. Je découvre le marché.
Tu veux gagner de l'argent ?
Entre autre, oui.
Quoi, entre autre ?
Je veux gagner de l'argent. Ou m'engager pour une cause. Ou voyager. Je veux trouver un rythme.

J'ai vécu, avec la seule angoisse de descendre deux étages et de faire cinquante mètres pour trouver un bol de nouilles. Voilà ce qu'est ma vie. je n'ai jamais travaillé. Je dors. Des semaines entières, qui s'ajoutent à d'autres semaines, qui font des années. Je veux trouver un rythme. L'argent, les vieux, c'est un début. Je m'intéresse aux taxis, la pop-culture, la maladie. Là, je fais le vieux. Je peux faire le malade. Tu veux ?
Une passion si soudaine pour le monde. C'est ravissant, Karl. Non, je ne veux pas le malade.

Mina se lève.
Karl.
Si la contemplation du ciel est l'acte fondateur de ta nouvelle existence, alors tu ferais bien d'en rester là. Ta vie n'en sera pas gâchée. Je dirai : mon frère a essayé de s'intéresser au monde, durant deux heures. Et il n'y aura personne pour m'écouter.

Ne crois pas ça, petite soeur.
Karl observe les motifs hawaïens de son bermuda.
A mesure que Mina s'éloigne, la voix de Karl gagne en puissance.
Tu seras là pour vomir tout ce que j'ai fait. Mais tu te souviendras de moi. Tu seras là pour écouter ce que tu diras de moi. Il n'y a que toi qui m'intéresse.