dimanche 6 juillet 2008

Ground Control

Depuis deux ans, Quinze dépose le même commentaire sous chaque post d'Akhilene23, une fille d'une curiosité toute relative qui ne s'est jamais étonnée de cette constance. Pas moins de 165 articles, ponctués du "Ah bon" de Quinze. 165 Ah bon. Et aucune réaction. Est-ce qu'elle réagirait si je l'avais traitée 165 fois de pute ? 165 fois menacée de mort ? Akhilene23 est une collègue de Quinze, une petite main de la direction marketing qui ne pense pas toujours à verrouiller son PC. Anne Versoony, un goût pour la j-pop et les videos de chatons, une existence tranquille, parents divorcés et fiançailles en vue, apparentée Modem (traditionnellement de droite). Quinze pourrait lui dire "c'est moi qui commente, à chaque fois" ou prononcer Ah bon, sur un ton qui ne laisserait aucun doute. Elle ne marquerait probablement pas de surprise, préférant ignorer ce qui pourrait bien être un - quoi, au fait - un con ? Un amoureux excessivement réservé ? Quinze serait de toute façon incapable d'expliquer. Pas que sa démarche lui paraisse tellement cohérente qu'elle se passerait aussi bien de cause et d'effet, mais Quinze porte en lui la gratuité des actes, qui lui paraît la seule raison valable d'exister. Il est probable qu'elle interprète ça comme un signal, une balise manifestant sa présence ; elle en conclurait qu'il se sent seul. Qu'il trouve dans ces pages banales un élément de confort, de sérénité. L'imaginant comme un gamin apeuré, elle n'aurait effectivement aucune raison de s'agacer ni de s'émouvoir de sa litanie pesante. Et l'émergence du commentateur dans sa réalité ne pourrait mener qu'à de l'indifférence, ou un vague sentiment de malaise. Anne Versoony ne réagit pas à l'intérêt marqué pour elle. Se sent-elle à ce point comblée par l'extérieur ? A ce point comblée que rien ne devrait perturber son chemin. 165 commentaires, toujours le même. Les autres commentateurs s'agacent ou s'amusent de cet entêtement dans le dubitatif. Et Anne Versoony (belge ?) est à ce point tranquille, qu'elle ne s'émeut en rien de cet acharnement. C'est profondément anormal. As-tu visité Bagdad sous les bombes, Anne ? Tes parents te frappaient-ils à tour de rôle, engoncés dans leur couple bancal ? As-tu tant vécu qu'un pervers en puissance, un type qui a fait de toi une cible manifeste ne t'évoque rien ? Et si j'apparais devant toi, dans un espace qui n'existera que par la reconnaissance mutuelle, verras-tu le danger potentiel ou t'en tiendras-tu à ce mutisme étriqué ? Il est temps de mettre un peu d'ordre, souffle Quinze. Un peu d'ordre dans sa vie.