samedi 8 mars 2008

now I'm rrrreally unimpressed

Si Manny est un imbécile entouré d'une barbe, Arwen fut une jolie fille entourée du monde. Pas belle comme peuvent l'être les postulantes à l'inaccessibilité, jolie comme le sont les taches de rousseur encadrant un sourire qui ne dit rien, comme l'impliquent ces mèches ramassées de bretonne, exposées aux méridiens écumants et longitudes salines. On se voyait mal finir sa vie avec, mais elle fut l'étoile protectrice d'un tas de puceaux gerbant leur vodka en spasmes de dépit. Arwen n'éprouva rien de l'amour, aucune lave rognant la densité raisonnable, elle ne voyait donc pas le mal à se laisser enfourcher, tant que ça faisait plaisir. Elle concéda néanmoins à la société - ses copines aigries - une distance prudente avec l'urgence des paumés. Au confluent de la facilité et de la contrainte, elle étira ses jours en soupirs accablés, contemplative inerte de la misère affective qui engluait les aspirants à ses pieds. Elle était - c'est important, prends des notes - sincèrement triste de voir ces petites choses empêtrées dans leurs fantasmes vaseux alors qu'elle aurait pu combler leur incandescence en leur suçant la bite. Arwen comprit qu'il fallait faire avec, et prit soin d'être une fille normale, lectrice de presse people, collègue souriante, végétarienne non-prosélyte. Cette normalité devint logiquement suspecte, et son entourage décida qu'elle avait, comme toutes les jolies filles, des problèmes psychologiques (toutes les filles moches ont également des problèmes psychologiques, mais on s'en fout puisqu'elles sont, de fait, moches), dont on considéra à l'unanimité que c'était dommage, elle qui est si jolie.
Les gens étant décidément trop cons, Arwen reporta son affection sur son petit frère, un garçon plutôt médiocre dont il n'y a rien à dire. Elle comprit l'empressement cardiaque qu'ont les dépressifs d'exister à jamais pour - ne serait-ce qu' - une personne. Quelques années plus tard, elle rencontra un type qu'on appellera Pépito pour la déconne. Pépito était une forme première de la racaille d'aujourd'hui. Un garçon qui traînait avec des potes et qui concevait la vie comme une succession de halls d'immeubles qu'il faudrait comme immortaliser avec sa pisse. Le destin étant farceur, Pépito aima. Je veux dire, vraiment amoureux. Jusqu'à se recréer de l'envie, de la condition, de - ça me troue un peu le cul, mais c'est ainsi - l'identité. Il fut, et c'est vraiment dommage cette fois, l'homme qui aima le mieux Arwen. Il la prenait en photo. Constamment. Chaque putain de jour il vidait plusieurs pellicules, Arwen en oblique, Arwen un bras levé, Arwen deux bras levés, Arwen atteignant la cafetière en haut de l'étagère, Arwen la cafetière dans les bras, Arwen écartant un bras, Arwen saisissant un filtre entre ses doigts, Arwen déposant le filtre, et toutes ces photos rangées dans un carton étiqueté "Arwen prépare le café". Pépito accepta le petit frère comme une composante inhérente à sa vie rêvée. Il lui démontra qu'on pouvait s'élever de la pisse à l'espérance, de l'espérance à la rage, de la rage à la félicité. Il lui prouva qu'on pouvait renoncer à soi pour s'aimer. Il lui enseigna le bonheur tranquille des pas dans ceux de l'autre, et de la main accrochée à ses doigts. Il lui dit tout ce qu'il y avait à dire, de la façon d'appréhender l'infini comme une flaque obscure dessinée aux contours du concret, des vers de sable qu'il fallait traquer en creusant par-dessous, des recoins des trains où le contrôleur ne le verrait jamais. L'autre, évidemment, ne répondit rien. Pépito lui trouva un stage, puis mourut, dans sa bagnole.
Arwen fut triste comme elle ne s'en serait pas cru capable. C'était une fille sauvagement intelligente, un esprit qui n'aurait procédé qu'en instinct, mais dont l'instinct serait lui-même calqué sur des impulsions de raison. C'est dire si elle était maline, quoi. Mais tu sais ce qu'est la douleur ? Disons que c'est un voile sur le reste. Sur tout le reste. Il ne reste que la douleur et les moyens de la combler, car, d'une certaine façon, elle se nourrit de tout ce qui t'inclut et le recrache en tumeur qui te broie - crois-tu au départ - pour mieux expulser chaque organe qui aurait la prétention d'exister hors d'elle (la douleur, putain mais suivez un peu). Et Arwen fit une erreur monumentale. Elle crut - j'en ris encore, mais c'est pas pour me moquer - qu'elle pourrait ne pas crever de tristesse grâce à son petit frère. Exister à jamais pour une personne. Arwen.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Bien que tu me demandes beaucoup plus d'efforts de concentration en sortant du dépressonihilisme, je suis bien content de te lire à nouveau.

Anonyme a dit…

Hey, tu veux bien m'envoyer ton url secrète ? sans que j'aie besoin de formaliser par un mail qui, compte tenu de ma forme olympique, se résumera à quelques braillements accompagnés d'une photo de ma bite ? je veux dire, épargnons-nous la paperasse. Sivouplé.